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Colloque international Max et Iris Stern 11
Topographies de la violence de masse

31 mars et 1er avril 2017

Musée d’art contemporain de Montréal

 

Katsi’tsakwas Ellen Gabriel
L’art de la propagande, les « faits réels » et l’érosion des droits de la personne des peuples autochtones

(en anglais)

 

Kyle Matthews et Marie Lamensch
Penser la violence de masse

Comment penser la destruction de vies humaines, cette violence qui nous semble impossible à comprendre ? Comment concevoir la transmission et l’impact de tels actes ? Depuis la Seconde Guerre mondiale, la violence de masse a connu des changements significatifs. La majorité des conflits se déroulent aujourd’hui dans un seul et même État. Les auteurs et les victimes ont aussi changé. Des groupes non étatiques tels que des gangs ou des terroristes sont capables de commettre des massacres contre des civils comme jamais auparavant. Afin d’étudier la topographie des violences de masse, il est important de définir, voire de classifier ces phénomènes. En nous penchant sur les victimes ciblées et sur les intentions des auteurs de tels actes, nous discuterons de différentes formes de violence de masse telles que le génocide, le féminicide, les guerres, les violences policières et le terrorisme. À l’aide de quelques exemples, nous engagerons aussi une brève discussion sur le rôle croissant de telles images de violence ainsi que leurs impacts à court et à long terme.
(en français et anglais)

Vincent Lavoie
Quelle visualité pour l’exode de masse ?

La crise migratoire des réfugiés syriens et irakiens n’aura pas échappé à l’attention des producteurs d’images. World Press Photo, Pulitzer, Pictures of the Year, National Press Photographers Association, tous les concours de photojournalisme auront en 2016 porté au sommet de leur palmarès des images de cet exode. Outre ces « chefs-d’œuvre » du photojournalisme, se trouvent des images « amateur » réalisées par les réfugiés eux-mêmes, au gré d’itinéraires et d’itinérances complexes dessinant une cartographie mouvante de la migration (Exodus : Our Journey to Europe, BBC, 2016). Puis des propositions artistiques qui se sont approprié des technologies militaires capables de dresser la cartographie thermique des flux migratoires (Richard Mosse, Incoming, 2016). Quelles topographies de la migration ces trois modes de production visuelle – journalistique et canonique, amateur et diasporique, militaire et artistique – établissent-ils ? Quelle représentation globale de cette crise tirer de tels tropes visuels ? L’exode de masse serait-il générateur d’un conflit visuel ?

Marta Zarzycka
Cartographies de la violence

La violence et l’espace sont inextricablement liés : dans La production de l’espace (1974), Lefebvre nous rappelle que les espaces souverains et les territoires situés à l’extérieur de leurs limites sont tous deux produits, maintenus et régis par la violence. Cependant, la violence n’est pas qu’une action exercée sur le corps et la conséquence de cette action. Elle comporte également des sensations, des émotions et des affects ; la haine, la peur ou la colère se manifestent dans l’espace et marquent cet espace en conséquence, qui devient dès lors un lieu clé d’enquête géographique, lui-même situable dans un contexte géopolitique contemporain. Au moyen de pratiques photographiques choisies, j’examinerai comment des citoyens et des non-citoyens se voient privés d’un espace quand celui-ci devient régi par la violence (et comment ils peuvent potentiellement le revendiquer). S’appuyant sur la théorie du genre (gender) et le postcolonialisme, ma communication abordera les aspects matériels de relations affectives-spatiales : normes sur le corps, la mobilité ou le geste, frontières étatiques, discours sur la sécurité et l’anxiété frontalière, planification spatiale de camps de réfugiés et cartographies émotionnelles liées au départ et à la destination en situation de migration forcée.
(en anglais)

Susan Schuppli
Les médias en tant que zones de conflit

Pendant que les lignes de front se déplacent progressivement dans l’espace secret de l’informatique et de l’abstraction numérique, bien au-delà des seuils de la perception humaine et de ses modes d’expression, nous ne pouvons plus nous fier aux formes traditionnelles du journalisme pour nourrir nos points de vue critiques sur des situations de conflit. L’espace de l’écran a multiplié et réfracté les « cadres de la guerre » en un champ complexe de détecteurs, de logiciels et de serveurs qui traquent leurs cibles – combattants, capital et consommateurs – à travers le spectre électromagnétique. Enquêter sur les formes numérisées et automatisées de violence contemporaine exige un réalignement conceptuel dans lequel nous apprendrons à déceler la spécificité des batailles qui se déclenchent d’elles-mêmes au niveau du processus : des traductions entre formats de fichier à la latence des signaux, des erreurs de compression à la rémanence des données et jusqu’à la diffusion de métadonnées. Si les appareils photo, les caméras et les médias se sont depuis longtemps aventurés dans les zones de conflit, exposant les injustices et documentant les exactions, l’expansion de ces zones en de puissants dispositifs informatiques doit donner lieu à de nouvelles pratiques de décodage pour que nous puissions intervenir politiquement dans les champs électroniques de données transformées en armes, où les algorithmes exécutent et les pixels dissimulent les crimes.
(en anglais)

 

Krista Geneviève Lynes
Sites de crise et transgression : la politique matérielle des médias sur le terrain

L’irruption, au 21e siècle, de protestations à divers endroits de la planète, a suscité des questions quant au rôle joué par les médias dans la diffusion de puissants symboles de protestation. Les nouveaux documents visuels créés par les producteurs culturels et les activistes ont déplacé les points de vue de tels combats politiques des hauteurs de campagnes aériennes à l’angle plus commun de la rue, de la frontière ou du square ; des objets matériels ont circulé en même temps que des images afin de constituer un répertoire visuel des scènes de crise ; par ailleurs, de nouvelles formes de témoignage et d’intimité ont accompagné la circulation d’images iconiques, donnant lieu également à des stratégies esthétiques qui permettent d’aborder les espaces de violence et de lutte. La communication proposée traitera du rôle joué par les médias sur le terrain (grounded media) dans l’illustration des champs de combats sociaux, en réexaminant le rôle de l’indexicalité et de la matérialité en tant que stratégies clés de représentation. Il y sera également question de la façon dont artistes et activistes procèdent à la médiation de nouvelles relations sociales et de formes de collectivité résistante.
(en anglais)

 

Mariam Ghani
Le non-vu vu : sites noirs et invisibilité contractuelle

Le terme black site, ou site noir, renvoie à une prison clandestine opérée par la CIA dans le cadre de son programme extra-judiciaire d’extradition, d’interrogatoire et de torture, actif entre 2001 et 2009. Cependant, tout site rendu temporairement invisible par une convention (tacite ou explicite) selon laquelle on ne voit pas ce qui existe réellement peut également être considéré comme un site noir, entre autres, les zones de « détention temporaire » servant à des interrogatoires extra-judiciaires, allant du Homan Square à Chicago jusqu’aux Forward Operating Bases déployées par l’armée des États-Unis. Quand un site devient un site noir, un lieu devient un non-lieu. Les vrais bâtiments, gens et territoires sont rendus invisibles par une sorte d’hallucination consensuelle. Que se produit-il quand ce processus est inversé ? Quand un lieu commence à insister sur sa réalité, malgré les contrats qui en régissent l’existence comme n’étant rien d’autre qu’une rumeur, comment ces bâtiments, ces gens et ces territoires émergent-ils de l’obscurité ? Est-il possible de regarder un ancien site noir sans voir à travers le voile de sa vie antérieure de non-vu ? Et comment une image peut-elle illustrer fidèlement à la fois un lieu et son passé de non-lieu, ou un lieu et sa position dans un réseau de contrats sociaux et politiques qui font qu’il est impossible de connaître l’histoire complète de ce lieu, d’en parler ou de la voir ? Mariam Ghani abordera ces questions par le biais du projet The Seen Unseen, réalisé en Afghanistan en 2015 dans le cadre de sa collaboration en cours avec Chitra Ganesh sur l’archive expérimentale intitulée Index of the Disappeared.
(en anglais)

Derek Gregory
La mort de la clinique: frappes chirurgicales et espaces d’exception

Un espace d’exception est un endroit où les gens sont sciemment et délibérément exposés à la mort du fait de la suspension des dispositions légales qui les protègeraient normalement de la violence. Le champ de bataille moderne est l’un de ces espaces où la violence militaire est régulée par l’activation de la loi internationale (« le droit de la guerre »). Il existe également une exception à l’exception – les hôpitaux où l’on soigne les malades et les blessés qui sont hors de combat et qu’on ne peut pas attaquer – et, pourtant, les guerres en Afghanistan, à Gaza, en Syrie, au Yémen et ailleurs ont démontré que cette immunité est en train d’être systématiquement sapée. Cette présentation retrace l’histoire plus ancienne de la militarisation des soins médicaux et, par une analyse rigoureuse des frappes aériennes et des géographies des soins traumatologiques en Afghanistan et en Syrie, elle montre ce qui est en cause dans ces nouvelles tentatives d’affaiblir, voire de dissoudre, la capacité de la loi humanitaire internationale de limiter les épisodes de violence de masse.
(en anglais)

Nuria Carton de Grammont
Violence, narco-culture et la géographie de la peur

L’étude de la culture de la violence associée à la guerre contre le trafic de la drogue au Mexique a essentiellement porté sur l’analyse de la narco-culture comme expression culturelle des classes populaires. Diverses manifestations, comme les narco-corridos (« narco-chansons »), ont été interprétées comme des formes de résistance venues « d’en bas », qui dénoncent un État corrompu par le commerce de la drogue. Mais la narco-culture comme contre-pouvoir est aussi absorbée par une industrie transnationale puissante et rentable qui commercialise des narco-telenovelas (« narco-roman-savon »), des narco-films et même une « narco-littérature ». Les grands capitaux, le crime organisé et l’État sont donc complices de la reproduction néo-conservatrice des stéréotypes qui naturalisent la violence quotidienne comme production populaire, une idéologie qui cultive l’insécurité et mobilise une géopolitique de la peur, de la violence et du contrôle de l’espace, tant physique que social.

Joaquin Barriendos
Topographies spectrales: Fosses, esthétique et la politique de la vérité au Mexique

Au cours des dix dernières années, des centaines de tombes clandestines ont été trouvées un peu partout sur le territoire mexicain, refaçonnant ainsi la topographie de violence qui découle de la soi-disant « guerre de la drogue ». Cependant, les restes humains et les excavations médicolégales ne sont que la pointe d’un iceberg composé de milliers de corps absents, d’outils juridiques inexistants et d’une imputabilité gouvernementale évasive. Combinés, ces ingrédients produisent une sorte de violence spectrale contre la société civile, dans laquelle le manque de traces favorise un état de terreur permanent dans le corps social, faisant de la violence un dispositif somatique de peur systémique. Dans ma communication, j’aborderai le rôle de la mémoire sociale, des manifestations artistiques spontanées et de la culture visuelle dans l’articulation de ce que j’appelle la dimension performative des droits de la personne, c’est-à-dire la « dé-somatisation » de la violence spectrale au moyen de machines politico-esthétiques. En confrontant des études de cas antagonistes, je tenterai, durant ma présentation, de comprendre la politique de la vérité dans le Mexique post-Ayotzinapa.
(en anglais)

 

Caroline Monnet
Territoires d’une identité dépossédée

Lorsqu’on efface la mémoire collective d’un peuple et qu’on le prive de sa toponymie d’origine, on lui enlève également ses références sociales, politiques, culturelles et spirituelles. Les enjeux autochtones contemporains sont dévoilés dans cette communication sous la forme d’une topographie personnelle qui s’appuie sur un besoin intrinsèque d’affirmation de soi et se positionne face au génocide culturel et physique des femmes autochtones. Il en résulte une critique tranchante des pouvoirs coloniaux et industriels qui ont dépossédé les Premières Nations du Canada de leurs terres ancestrales et continuent aujourd’hui à les persécuter indûment en les plaçant dans des ghettos. La notion de privilège culturel oscille entre perte du passé et construction du futur et devient source de dichotomie identitaire. Les monuments sculpturaux et picturaux s’apparentent alors à des sites archéologiques qui témoignent du féminicide, mais aussi de la résilience permettant d’appuyer une pensée qui outrepasse les conséquences du passé.

 

Julie Nagam
Une révélation de l’ontologie du territoire au moyen de récits visuels autochtones sur la mémoire, la connaissance et les histoires vivantes

Dans cette communication, Julie Nagam se penchera sur le travail d’artistes contemporains autochtones comme Rebecca Belmore, Robert Houle et Jeff Thomas, qui dévoilent des géographies cachées dans les espaces urbains de Toronto et d’autres grands centres du Canada au moyen d’interventions inspirées de récits indigènes traitant des lieux et des concepts de l’espace autochtone. Nagam s’intéresse à une esthétique du dialogue et à sa capacité de transformer les récits historiques, patrimoniaux, culturels, archéologiques et géographiques afin d’imaginer un espace possible. Sa recherche et sa pratique sont essentiellement fondées sur l’idée que l’art peut créer les conditions épistémologiques, critiques et phénoménologiques permettant d’analyser des histoires linéaires, officiellement construites, et de les confronter à des récits de lieux en engageant un dialogue direct avec l’archéologie et la géographie de ces espaces.
(en anglais)

 

Andrew Herscher
La nécropolitique de l’imagination architecturale

Intitulée The Architectural Imagination, l’exposition présentée au pavillon des États-Unis lors de la Biennale d’architecture de Venise en 2016 proposait de « nouveaux projets architecturaux spéculatifs commandés pour des sites précis à Detroit mais pouvant s’appliquer à des villes partout dans le monde ». Au dire des commissaires du pavillon, ces projets illustraient « la grande capacité de l’architecture de construire la culture et de catalyser les villes ». The Architectural Imagination a été elle-même imaginée pendant la restructuration ayant suivi la gestion d’urgence de Detroit durant laquelle la ville a été « catalysée » par des politiques d’austérité urbaine donnant lieu à des déplacements à grande échelle de communautés de couleur issues de la classe ouvrière et défavorisées. Comment l’imagination architecturale, telle que mise en scène dans le pavillon des États-Unis, se compare-t-elle à l’imagination architecturale qui a produit ces déplacements ? Comment ces imaginations de l’architecture se comparent-elles à la nécropolitique de l’urbanisme d’austérité à Detroit ? Quel droit à la ville ces imaginations architecturales formulent-elles ? Comment pourrait-on comprendre autrement ce droit ?
(en anglais)